Entrevue avec Emmanuelle Caron !

 
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12 juin 2013

Se plonger dans le roman Gladys et Vova, paru à l'école des Loisirs, c'est entrer dans un univers bien particulier, entre réalisme et conte, entre malheurs et lumière. Enseignante de littérature et passionnée de théâtre. Emmanuelle Caron a insufflé un véritable souffle dans son récit. Conversation avec une auteure inspirée! 

Tout d'abord, vous qui êtes Française, installée à Montréal, comment vous est venue cette histoire qui prend sa source en Russie?

Tout ce qui a trait à la création de ce roman reste mystérieux, même pour moi! J’ai une affinité profonde avec la Russie, depuis longtemps, car j’y ai voyagé à la fin de mon adolescence, à un moment où la personnalité se transforme, les goûts se fondent, les amitiés se nouent. Beaucoup de mes textes prennent leurs racines dans les images et les sensations que j’ai emmagasinées alors.

Comment avez-vous choisi les mots que vous alliez utiliser dans cette langue? Pourquoi vouliez-vous en employer?

J’adore la langue russe, que j’essaie de maîtriser (lamentablement) depuis des années. Certains mots usuels comme Malatsi, ou Bielomorkanal sont là pour créer un effet de réel (après tout les jumeaux sont russes!) et d’autres font signe du côté des contes typiquement russes ex : babouchka, baba yaga. J’aimais bien qu’avec deux héros, on ait aussi deux langues…

L’adoption de Gladys et Vova a été permise par un changement politique en Russie. Avez-vous collé à la réalité dans votre roman? Était-ce important pour vous?

L’adoption des jumeaux est un ressort narratif, elle vise à créer une rupture avec l’âge pacifié des marionnettes. Avec l’adoption, on entre dans une nouvelle épreuve, encore plus dure, car cet évènement s’accompagne de la séparation d’avec Varvara. Je n’ai pas du tout la prétention d’explorer le problème de l’adoption sur un plan réaliste, cela me parait extrêmement épineux en soi. Les images des orphelinats roumains sous Ceausescu restent gravés dans ma mémoire, évidemment…

En parlant d'adoption, les Français qui les adoptent sont très spéciaux. Comment sont-ils arrivés dans l’histoire? Pourquoi les avoir faits si terribles?

Les Baldessari figurent des ogres modernes, leur âme est corrompue par le malheur, ils ont perdu tous les contours de l’humain. Ils enferment les jumeaux pour en faire leurs marionnettes, pour combler leurs manques; en ce sens, ils sont les puissantes forces aliénantes que doivent affronter les héros pour sculpter leur rapport au monde. Dans la mesure où ce roman joue avec les codes du conte, il fallait que ces êtres opposants aux jumeaux, par le mal qu’ils emblématisent, représentent une confrontation initiatique. Les Baldessari vont, par leur égoïsme, profondément modifier les tempéraments des jumeaux, les forcer à s’inverser : devenir docile pour Vova, devenir insignifiante pour Gladys. Les jumeaux sont conformes aux désirs de ces gens, et ils se perdent dans cette négativité. Comme dans toute initiation, les jumeaux doivent aller au bout de leurs forces, au bout de leurs limites. Les Baldessari représentent cela.

À quel moment est apparue l’image des hippocampes?

Je sais bien que l’hippocampe est souvent évoqué comme un fil conducteur du récit, et il l’est pleinement. Il relie, coud les uns aux autres, les épisodes et les personnages. Mais ce sympathique petit animal est arrivé par hasard dans le récit…C’est un peu décevant, mais c’est vrai! Ensuite, j’ai mieux compris ma propre démarche. J’adore les hippocampes, car ils sont hybrides, très découpés, très architecturaux, très petits (ils sont vraiment minuscules!) et très précieux. Ils sont aussi des symboles de fidélités, d’opiniâtre loyauté…comme les Jumeaux!

Est-ce que vous connaissiez déjà la fin avant de commencer le récit où est-ce les personnages qui vous ont guidé vers leur destin?

Je ne connaissais pas toutes les étapes menant à la réunion des jumeaux. Je savais simplement qu’ils devaient se retrouver, à la faveur du théâtre. Les personnages m’ont guidée, comme dans un rêve! Je ne me souviens pas, par exemple, d’avoir fomenté le personnage d’Aurélia. Il est venu seul, a germé naturellement, comme une évidence. Pour le récit, j’ai écrit plusieurs versions, et à la fin, tout s’est affiné. Ça a été un long processus…mais finalement, c’est le point de vue des jumeaux qui a constitué le fil le plus sûr. Et c’est leur vision du monde qui s’est imposée.

Le théâtre est très important dans ce récit. Quelle place a-t-il dans votre propre vie? Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’intégrer dans votre récit?

Au départ, c’est Geneviève Brisac qui, ayant appris que je m’investissais dans mon lycée dans un club théâtre et dans une spécialité théâtre, m’a suggéré de réfléchir à « un livre sur le théâtre et les adolescents ». J’ai tout de suite commencé, mais en partant de très loin, en me laissant bercer par mon imagination. Le théâtre a une place très importante dans ma vie, je pense qu’il devrait avoir, en tant que discipline scolaire, une place prépondérante dans les programmes : il permet d’apprendre à écouter les textes, les autres, soi-même. Il fait passer les idées par le corps, il arrime au sol. Il rend léger et fort, il leste la mémoire des plus grands mots, des plus belles histoires…Donc, le théâtre pour les adolescents (et pour tout le monde d’ailleurs), est à mes yeux la métaphore parfaite de l’apprentissage de la vie.

Est-ce que votre travail d'enseignante influence votre écriture?

Mes élèves m’inspirent, bien sûr. Dans mes premiers romans, c’est encore plus sensible. Mais c’est l’énergie particulière de cette période de la vie que je cherche à capter, pas celle spécifique d’un individu. C’est un âge qui m’émeut, il est réellement tendre et vulnérable, tellement à l’affut de réponse, de pistes  (au-delà du vernis de désobéissance ou d’ingratitude!). Les émotions sont intenses, souvent théâtrales, et ça déborde de vie! Des fois, c’est un peu tannant, mais j’avoue qu’au bout de 15 ans, ça ne me lasse pas.

Qu’aimez-vous le plus de votre roman? Y a-t-il quelque chose qui vous plaise moins?

J’aime beaucoup les passages sur les marionnettes, à l’orphelinat et la relation qui unit Vova à Aurélia. Je suis moins sûre de ma fin chez la mère, c’est une scène qui me parait forcément tirée par les cheveux…mais la scène finale dans le théâtre est tout de même émouvante, je crois.

Rafale Lecture !

Enfant, étiez-vous une grande lectrice?

Oui ! Je me souviens des Mystères de Paris, de Eugène Sue, que j’ai lu pendant…près de 2 ans entre 10 et 12 ans ! Une saga fleuve, mélodramatique et ultra palpitante dans les rues du Paris de 1815…Un délice ! J’ai dévoré les Maupassant, les Balzac, comme une bonne petite Française. Mais les romans d’aventures de Jack London, de Stevenson et de Joseph Conrad avaient ma préférence.

Qui vous a donné le goût de lire? 

Mon père me lisait des débuts de livres et c’était un moment très doux de complicité et de réconfort. J’entends encore sa voix me lire La Métamorphose de Kafka ou L’arbre aux souhaits de Faulkner. Il commençait, et je continuais par moi-même, toute seule, emmitouflée et heureuse.

Êtes-vous aujourd’hui une grande lectrice? 

Je suis une assez grande lectrice (« grande » en ce sens que je lis absolument tous les jours, mais seulement « assez », car…on ne lit jamais assez, justement) ! Je lis et relis les classiques, d’un bout à l’autre de l’année, pour mes élèves et pour mon plaisir : Stendhal, Zola, Baudelaire, Voltaire, etc. Mais je lis aussi des textes non classiques, comme La conjuration des imbéciles de Toole, ou des nouvelles de Raymond Carver. Je lis beaucoup de poésie, et j’aime lire des ouvrages critiques qui approfondissent des notions qui m’intéressent.

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres?

C’est le mot Amitié. Je suis l’amie fidèle de certains livres, de certains auteurs. Je reviens toujours vers eux et ils ont ma confiance.

Quel est votre livre préféré?

J’hésite entre La Vie mode d’emploi de George Perec et Un thé au Sahara de Bowles. Deux, c’est mieux !

Quel roman a marqué votre adolescence?

Les romans russes que l’on découvre à cet âge : quelle claque ! Je pense à Anna Karénine et surtout à L’Idiot. Je m’y suis plongée avec passion, avec la même fièvre que les personnages, et j’en suis sortie rincée, tremblotante, grandie…

Quel est le livre sur votre table de chevet?

Les Maximes de La Rochefoucauld.

Dans quel endroit préférez-vous lire?

J’aime lire dans mon lit, à la lueur de ma lampe, le soir. Sinon, le parc est l’endroit idéal, surtout sous un rayon de soleil.

Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous?

Heu…La question est difficile ! J’aimerais ne PAS être Emma Bovary, mais a-t-on le choix ? J’aimerais beaucoup être un roman de Stendhal, La Chartreuse de Parme en particulier. Parce que les héros de ce roman ne cherchent à ressembler à personne, ils suivent un désir propre. Ça me rassure de contempler de tels êtres.

Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui aimeront Gladys et Vova ?

Les livres de Jean-François Chabas, notamment J’irai au pays des licornes, sont excellents dans le traitement de l’enfance malmenée par la vie. Ce sont des textes très émouvants. Sinon, je lirais les textes qui ont nourri certains chapitres de Gladys et Vova ! Roméo et Juliette, La vie est un songe…pourquoi pas ?

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