Entrevue avec Sarah Cohen-Scali

 
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11 septembre 2012

Max parait aujourd'hui. Max, c’est un roman très particulier, portant sur le programme Lebensborn de la Deuxième Guerre mondiale, mais vu de l’intérieur. Max n’est d’abord qu’un fœtus, puis un bébé et enfin un enfant qui grandit dans l’univers du nazisme. Persuadé qu’Hitler est la voix de la vérité, Max ne se questionne pas et se contente de raconter tout ce qu’il voit. C’est difficile à lire tant de certitude alors que des horreurs sont rapportées… Mais ce fut aussi sûrement difficile à écrire. Et c’est ce à quoi je pensais en lisant ce roman. Comment peut-on mettre en scène un tel narrateur ? Comment peut-on aimer un personnage qui pense ainsi ? Voici donc une entrevue avec Sarah Cohen-Scali, la femme derrière ce livre coup-de-poing, question de titiller votre curiosité…

Max s’intéresse à la période liée au programme Lebensborn qui s’est déroulé durant la Deuxième Guerre mondiale. Qu’est-ce qui vous a amené au roman historique? Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter de cette période en particulier?

Je suis venue au roman historique sur la suggestion d’un directeur de collection. «Max» est le premier roman historique que j’écris. J’ai décidé de traiter cette période en particulier, la Seconde Guerre mondiale, car elle est la plus proche de nous, ce qui me permettait de conserver une écriture moderne. De plus, il s’agit d’une période marquante,  qui reste, après tant d’années, encore à découvrir.

Comment avez-vous découvert le programme Lebensborn?

La toute première fois, ce fut en lisant le magnifique roman de William Styron, «Le choix de Sophie». Mais il ne s’agissait que de quelques lignes à  peine. J’ai réellement découvert le programme Lebensborn à travers le livre de Marc Hillel, «Au nom de la race», ma principale référence pour l’écriture de «Max».

Le récit est ancré dans l’Histoire. Avez-vous fait beaucoup de recherches avant de commencer l’écriture? 

Oui, bien sûr, j’ai effectué de très nombreuses recherches avant d’entamer l’écriture du roman, c’était indispensable. Il me fallait tout d’abord maîtriser la réalité historique avant de la dépasser pour accéder au champ de la fiction. Les recherches sont toujours passionnantes et enrichissantes, quel que soit le sujet, c’est une partie de mon travail que j’apprécie beaucoup.

Dans ce cas-ci, est-ce que vos recherches ont été dures sur le plan émotif? 

Oh que oui! Ces recherches ont été très dures sur le plan émotif. Je me souviens avoir été prise parfois de nausées. Un exemple me vient spontanément en tête: les recherches faites par les médecins nazis sur les corps des enfants euthanasiés. Plus je fouillais, plus je découvrais l’horreur, non seulement  du programme Lebensborn, mais de cette période en général.

Pourquoi avez-vous choisi de laisser Max s’exprimer à la première personne dans votre roman?

La première question que je me pose lorsque je dois entamer un roman, quel qu’il soit, concerne le point de vue de narration. Vais-je opter pour le «je» ou le «il»? Ensuite vient le choix du temps du récit. Présent ou passé? C’est très important. Raconter une histoire à la première ou à la troisième personne peut - je l’ai vérifié - changer une intrigue du tout au tout.

En ce qui concerne «Max», après la phase de documentation, j’ai longuement réfléchi avant d’entamer la rédaction. J’avais plusieurs pistes en tête. Un adulte qui part sur les traces de son passé, qui devine qu’il a été adopté, une vieille lettre trouvée dans un grenier... aucun de ces points de départ ne me séduisait. Puis le déclic s’est produit, de manière très soudaine. Il m’a tout à coup semblé évident que je devais adopter «un point de vue de l’intérieur», que mon héros serait dans «le camp ennemi» , si je puis dire. Dès lors, il m’a paru naturel de le faire parler à la première personne. Plus encore, mon héros devait parler avant même de naître. La première phrase du roman s’est alors imposée: « Je ne sais pas encore comment je vais m’appeler ».

Le personnage de Max suscite beaucoup de réactions chez le lecteur à cause de ses idées parfois dérangeantes. Avez-vous eu parfois de la difficulté à lui mettre des mots en bouche?

Non, pas du tout. Et là est tout le paradoxe. Les mots  et les pensées de Max sont dérangeants, plus que cela, ils sont odieux, pour la plupart. En opposition totale avec mes propres idées et mes convictions personnelles. Pourtant, j’ai trouvé les mots de Max très naturellement, au fil de la plume. C’était bon signe. La preuve que j’étais en harmonie avec mon personnage, que j’arrivais à me glisser dans sa peau et à le faire vivre.

Comment peut-on aimer un tel personnage? Y a-t-il eu des scènes plus difficiles à écrire que d’autres?

Votre première question est très intéressante et ma réponse fait suite à la précédente. Je ne pouvais pas écrire le roman si je n’aimais pas mon personnage, pour odieux qu’il fût - du moins au début, puisque par la suite,  il s’amende. En cours d’écriture, je me suis souvent dit: « Il est affreux! C’est un salopard! Et pourtant je l’aime, j’y suis attachée, profondément.»

Mon pari, maintenant que le roman est publié, est d’arriver à ce que le lecteur éprouve les mêmes sentiments que moi pour Max: un rejet tout d’abord, puis très vite, de l’attachement, de l’amour. Et il ne faut pas oublier une chose essentielle: Max est aussi une victime du programme Lebensborn.

Il n’y a pas eu de scènes plus difficiles à écrire que d’autres, dans le sens où j’ai écrit ce roman très facilement, quasiment d’une traite - ce qui n’est pas le cas pour tous mes romans. En revanche, certains passages ont été plus durs émotionnellement, comme la mort de Lukas par exemple. Je ne l’ai pas «tué» de bon cœur, cependant sa mort était nécessaire à l’intrigue. Le passage où, à Kalish, la directrice tue d’une balle dans la tête Wolfgang  était très dur également. D’autant que ce passage s’inspire de la réalité.

Avez-vous écrit le roman selon l’ordre chronologique? Aviez-vous hâte d’arriver à la deuxième partie du roman, où Max se remet davantage en question?

Oui, j’ai écrit selon un ordre chronologique, je le fais toujours, d’ailleurs. Ça me semble aberrant de commencer un roman par la fin ou le milieu. Je n’avais pas particulièrement hâte d’arriver à la deuxième partie, pour la simple raison que je ne savais pas encore si / ou comment Max s’amenderait. J’ai vraiment vécu et évolué au même rythme que mon personnage.

Vous êtes-vous parfois autocensurée? Y a-t-il eu des demandes en ce sens de la part de votre éditeur?

Pas d’autocensure, jamais l’idée ne m’a effleurée. Inutile de s’attaquer au thème du Lebensborn ou de la  Seconde Guerre mondiale en général, dans cette perspective. Pas de demandes en ce sens de la part de mon éditeur, du moins une fois que le texte a été accepté. Cependant, la décision au sein des éditions Gallimard  a été longue. Six mois, très exactement. Justement à cause des réticences éprouvées par certains membres du comité de lecture.

Selon vous, peut-on parler de tout en littérature?

Oui, à condition que l’écriture soit bonne. « La puissance du style est une flamme qui purifie les pires sujets », a dit Barbey d’Aurevilly. J’aime beaucoup cette citation.  Il n’y a rien à ajouter.

Pourquoi est-ce qu’une telle histoire a sa place en littérature « jeunesse » selon vous?

Je ne pense pas que «Max» ait une place figée en littérature jeunesse. Il ne peut pas être lu par de très jeunes lecteurs, il s’adresse à des lycéens. La collection Scripto est une très bonne collection en ce sens, puisqu’elle se destine aussi bien aux jeunes adultes qu’aux adultes.

Vous dites vous-mêmes que vos romans sont souvent teintés de noir. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire des histoires plus sombres?

Je l’ignore. Il faudrait poser la question à un psychiatre. C’est instinctif. C’est mon univers - littéraire en tout cas, dans la vie, c’est autre chose.

Comment en êtes-vous venue à l’écriture? Que préférez-vous dans votre métier, qu’aimez-vous le moins?

C’est la lecture qui m’a menée à l’écriture.

Ce que j’aime le plus dans mon métier, c’est tout simplement... écrire!

Ce que j’aime le moins, la relation parfois difficile avec certains éditeurs.

Rafale lecture !

Qui vous a donné le goût de lire?

Ce sont les bons livres qui m’ont donné le goût de lire, tout simplement!

Êtes-vous aujourd’hui une grande lectrice? Que lisez-vous?

Oui, toujours. Je lis surtout les auteurs contemporains américains, car j’ai une grande admiration pour leurs œuvres.

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? 

 «Nourriture». Si je ne lis pas, je ne peux plus écrire. La lecture nourrit mon écriture, elle la fait évoluer, progresser.

Quel est votre livre préféré?

Il y en a beaucoup. Mais si je devais en choisir un, ce serait «Simetierre» de Stephen King.

Quel roman a marqué votre adolescence?

Ce sont les classiques que j’ai dévorés à cette période.

Quel est le livre sur votre table de chevet?

Actuellement, il s’agit de «Lointain souvenir de la peau», le dernier roman de Russel Banks.

Dans quel endroit préférez-vous lire?

Sur mon canapé, mais je peux lire partout, dans le métro, le train,  le bus,  une salle d’attente de médecin, debout, dans le vacarme...

Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous? 

Un roman de Joyce Carol Oates, car j’adore cet écrivain.

Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui ont aimé Max?

Sur le même sujet, il paraît que «Lebensborn, la fabrique des enfants parfaits» est un très bon livre, cependant je ne l’ai pas encore lu.

Pour ma part, je vous recommande aussi Enfant volée qui aborde le même sujet, mais d'un angle tout à fait différent. À lire!

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